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La 9ème symphonie de Mahler par Myung-Whun Chung et l'Orchestre du Royal Concertgebouw



Le chef coréen Chung Myung-Whun est venu le dimanche 9 février avec le Royal Concertgebouw d’Amsterdam diriger, à la philharmonie de Paris, la neuvième symphonie de Mahler. Ayant une place toute choisie dans mon cœur, cette œuvre incarne le sommet de l’art symphonique post-romantique et la quintessence de l’âme Mahlérienne.


Composée entre 1908 et 1909 alors que Mahler souffre déjà de problèmes de santé, dû notamment au rythme effréné avec lequel il enchaîne concerts et tournées en Europe et à New-York, cette symphonie est remplie par le pressentiment de la mort à la fois déchirante et apaisante, douloureuse et libératrice. Le premier manuscrit orchestral, du Finale de la Neuvième porte les inscriptions prémonitoires : "Ô Jeunesse, Amour, adieu ! " et "Ô Monde, adieu !"


Cependant, comme nous le verrons dans cette brève analyse, il est réducteur d’assimiler la neuvième à la seule notion de mort. Dans une lettre à Bruno Walter d’août 1909, Mahler décrit son état d’esprit dans la composition de cette symphonie :


« Plus que jamais, la soif de vive me tient au corps ; plus que jamais je trouve agréable la « douce habitude d’exister. (…) Comme il est absurde de se laisser submerger par les tourbillons des fleuves de l’existence ! »


Composée de quatre mouvements, deux mouvements lents, l’andante et l’adagio final, encadrent deux mouvements plus courts avec un ländler et un rondo burlesque. L’emploi inversé de la structure symphonique classique, l’atmosphère pesante et l'adagio presque funèbre, ne sont pas sans rappeler la Pathétique de Tchaïkovski. Beaucoup de choses les différencient aussi, Mahler pose les bases de l’avenir de la composition et de l’orchestration avec la disparition de l’unité tonale - si la neuvième est en ré majeur, chaque mouvement appartient à une tonalité différente – et pour son utilisation de ce qui sera théorisé en 1911 dans le traité d’harmonie d’Arnold Schönberg de la « Klangfarbenmelodie ».


Diriger les symphonies de Mahler nécessite une maîtrise et une cohésion incroyable de l’orchestre tant le foisonnement d'idées riches, la complexité de l’orchestration et la diversité des sonorités rendent la tâche ardue. Il faut que la symphonie sonne comme un « tout » et non pas comme un agrégat de petits groupes d’instruments « isolés ».


Pour tout Mahlérien, la venue du Royal Concertgebouworkest d'Amsterdam n'est pas anodine. Au-delà du festival Mahler d'Amsterdam - auquel nous exprimons de grandes réserves quant au choix de Daniel Harding, incapable de faire sonner Mahler, pour diriger la 8ème - l'histoire entre la capitale Hollandaise et le maître Viennois remonte en 1902. En 1902, le jeune et talentueux chef allemand, Willem Mengelberg, fasciné par la musique de Mahler l’invite pour diriger sa troisième symphonie à Amsterdam. Mengelberg voyait en la musique de Mahler une forme nouvelle d'expression artistique et symphonique, il l'admirait profondément. Le chef Viennois est venu plusieurs fois diriger à Amsterdam, il rencontrât un tel succès à Amsterdam qu’il écrivit à Mengelberg depuis Vienne :


"J'ai l'impression d'avoir trouvé une deuxième patrie musicale à Amsterdam"


De même, nous sommes ici obligé de mentionner la sublime version de la neuvième par Bernstein et le Concertgebouworkest en 1985.



Une excellente interprétation


Les deux mots qui résumerait ce premier mouvement sous la baguette du chef coréen : splendeur lugubre. Dès les premières mesures Myung-Whun nous emmène dans de ce qui pourrait s’apparenter à une ample marche Mahlérienne. Les violoncelles et le cor se partagent le premier rythme. La harpe, ensuite, délicatement, fait retentir ce fameux motif en trois notes. Le cor, cette fois en sourdine, semble répondre à la harpe. Le dialogue s’installe et progressivement, c’est tout l’orchestre qui s’anime et développe cette lente marche, qui parfois s'accélère pour reprendre ensuite son cours inexorable. Dans ce premier mouvement, les moments de calmes se substituent subitement aux rugissements des cordes, aux martellements du timpani, aux cris des cors. Mahler nous plonge dans une délicieuse insécurité. Nous ferons nôtre les mots d’Alban Berg qui a si bien résumé en quelques lignes l’esprit et l’atmosphère du premier mouvement :


"Je viens de rejouer la Neuvième Symphonie de Mahler. Le premier mouvement est les plus admirable qu'il ait jamais écrit. Il exprime un amour inouï de la terre et son désir d'y vivre en paix, d'y goûter encore la nature jusqu'à son tréfonds, avant que ne survienne la mort. Car elle viendra inéluctablement. Ce mouvement tout entier en est le pressentiment. Sans cesse elle s'annonce à nouveau. Tous les rêves terrestres trouvent ici leur apogée (et c'est là la raison d'être de ces montées gigantesques qui toujours se remettent à bouillonner après chaque passage tendre et délicat), surtout à ces moments terrifiants où l'intense désir de vivre atteint à son paroxysme (Mit höchster Kraft), où la mort s'impose avec le plus de violence. Là-dessus les terrifiants solos d'altos et de violons, les sonorités martiales : la mort en habit de guerre. Alors il n'y a plus de révolte possible. Et ce qui vient ensuite ne semble que résignation, toujours avec la pensée de l'"au-delà"


Face à tant de changements d’intensités, d’émotions, d’atmosphères, certains chefs d’orchestre forcent sur les effets de styles inutiles perdant en cohérence sur l’ensemble du mouvement ; Myung-Whun ne tombe pas dans cet écueil et l’orchestre clôt brillamment ce premier mouvement. On retrouve dans la direction toute la complexité de Mahler. Le public de la philharmonie de Paris, le premier mouvement terminé, a été comme à son habitude : bruyant ; toussant comme si une grippe terrible avait frappé la salle de concert. Dieu merci, ces derniers n’ont pas applaudit entre les mouvements.


Concernant le deuxième mouvement et le ländler, Henri Louis de la Grange, dans sa biographie sur Mahler, écrit ce commentaire :


« Le sourire rassurant du Ländler s'est crispé en un cruel rictus et les différentes danses s'y déchaînent sans jamais faire plus qu'évoquer l'esprit de la danse. »


Ici encore Mahler, pousse à l’extrême la parodie. Rien n’est jamais totalement joyeux chez Mahler, il y a toujours ce fond tragique où la futilité du monde est décriée. Il faut souligner l’excellence des altos et bassons de l’orchestre dans les motifs de gammes rapides. L’une des seules remarques que nous pourrions faire à l’interprétation du chef Coréen, est qu’il n’est pas assez loin dans cette atmosphère paradoxale du ländler grinçant, moqueur tantôt absurde presque exaspérant. Le troisième mouvement redouble en intensité et en complexité orchestrale avec le fugato presque continu et un contre point inversible prodigieux. Le chef Coréen mène ce mouvement d’une main de maitre mêlant vivacité, sonorités tranchantes et martiales. Le thème dissonant à la trompette ouvre la marche aux cordes à l’unisson avec motif à cinq notes rappelant le stürmisch bewegt de la cinquième. Rapidement, le burlesque s’efface devant la complexité polyphonique où contrepoint baroque et dissonance rebelles s’entremêlent. La clarté de l’orchestre impressionne dans ce déchainement de violence et d’éclatement de l’espace tonal. Evènement suffisamment incroyable pour être souligné, à la fin du troisième mouvement, le public de la Philharmonie a hésité à tousser et nous avons eu droit à une transition vers l’adagio final, somme toute, silencieuse. Le quatrième mouvement débute sur cette longue phrase des violons avec ce motif audacieux par sa simplicité. La direction du chef Coréen est grave, solennelle presque religieuse. Le deuxième thème commence dans les graves et se distingue aussi par sa simplicité, son dépouillement. L’adagio fait office de recueillement silencieux que quelques notes dissonantes viennent déranger pour nous faire ressentir toute la fragilité, toute l’insécurité qu’inspire les partitions de Mahler.



Edvard Munch, Le désespoir, 1892


Que dire de la coda de ce quatrième mouvement à part qu’il fut l’une des expériences Mahlérienne les plus sublimes auxquelles nous avons assisté. Tout se désagrègent lentement dans cette coda avec des cordes si douces en sourdine. Le grupetto qui avait été annoncé à la fin du troisième mouvement, et qui est le fil directeur de cet adagio, demeure seul, de plus en plus lent, de plus en plus fragile, tendre et subtil. Nous vivons un moment hors du temps. Nous nous dirigeons vers le silence, le repos, la paix éternel. Soudainement, sorti des entrailles de l’homme moderne, une sonnerie de téléphone vient ruiner l’édifice jusque-là si divinement bâti. Je ne peux guère exprimer la rage qui nous emporta dans ce blasphème outrageux. Nous passions les portes du paradis et l’horrible banalité du quotidien venait nous saisir violement et nous ramener dans le cauchemar terrestre.


A titre personnel, j’ai toujours trouvé que cet adagio final n’était pas du tout désespéré mais pleinement réconciliateur, comme une acception de son destin en harmonie avec la nature et la vie. Malgré, cette ignoble sonnerie, le public parisien s’est tout de même tu lorsque la dernière note a retenti. Un silence d’une trentaine de seconde a alors dominé la salle de concert.


Chung Myung-Whun et le Concertgebouworkest ont été tout simplement excellent et le public égal à lui-même.


Portrait de Gustav Mahler par Rodin


Recommandations:


Gustav Mahler - Symphonie No. 9 (Claudio Abbado & Orchestre du Festival de Lucerne, 2010)


Gustav Mahler - Symphonie No. 9 (Herbert Von Karajan & BPO, 1982)


Gustav Mahler - Symphonie No. 9 (Leonard Bernstein & Koninklijk Concertgebouworkest, 1985)


Gustav Mahler - Symphonie No. 9 (Klaus Tennstedt & London Philharmonic Orchestra, 1979)






Par Wilhelm






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