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La Neuvième de Beethoven du 29 juillet 1951. L’ouverture du “nouveau” Festival de Bayreuth



Furtwangler dirigeant la neuvième de Beethoven à Bayreuth en 1951


Ce concert inaugural hautement symbolique démontre une volonté de continuation culturelle et musicale, tout en dénazifiant ce temple dédié à Wagner. Véritable Walhalla de la vie culturelle du IIIème Reich, Bayreuth se voit comme de nombreux grands musiciens et chefs d’orchestre interdit de démonstration publique. La figure pesante et égomaniaque de Winifred Wagner laissa place aux petits fils du compositeur de la Colline sacrée, Wieland et Wolfgang Wagner, afin de moderniser et rendre un caractère novateur et révolutionnaire dans l’interprétation wagnérienne et dans les mises en scènes. Le choix de la programmation tout comme celui du chef n’est pas dû au hasard. La personnalité de Wilhelm Furtwängler, malgré un procès en dénazification et son maintien en tant que chef dans l’Allemagne hitlérienne, donna des gages d’hostilité au régime qui le qualifia pleinement comme figure de proue de la résurrection de ce temple du drame musical.



Le choix rassembleur et unificateur de la neuvième symphonie de Beethoven est à la fois un symbole historique et politique. L’ode à la joie reprend son caractère universel et humaniste qui écarte de la même manière la conception nazie de la fraternité de la race aryenne dans cette musique, et renoue avec l’histoire de Bayreuth. En effet, Richard Wagner qui fut fasciné par l’œuvre beethovenienne et notamment la neuvième symphonie, considéré comme la forme ultime et indépassable de la forme symphonique, qu’il caractérisa comme “la dernière des symphonies”. Il inaugura dans le magnifique théâtre des Margraves à Bayreuth pour la pose de la première pierre de son nouveau Festspielhaus avec la neuvième symphonie de son illustre prédécesseur. L’orchestre du festival de Bayreuth qui réunit les meilleurs musiciens des orchestres allemands et autrichiens ainsi que ceux des grandes phalanges européennes formèrent autour de Furtwängler, le symbole de la primauté du culturel sur le politique, seul et unique ciment civilisationnel.


La preuve sublime que l’essence de la nation allemande, malgré un pays atomisé, un peuple liquidé par la guerre, que l’âme de la nation allemande restait intacte, et perpétuellement grandie malgré l’utilisation de cette dernière par les nazis et les assauts destructeurs des Alliés. Beethoven, Goethe, Schiller et Wagner ne pouvaient être effacés par un quelconque traumatisme politique et idéologique. L'approche musicale de Furtwängler est à la fois analytique et théâtrale. Le premier mouvement installe une atmosphère de mystère, la joie est toujours incertaine, la quinte initiale engendre un sentiment de pessimisme par le jeu brumeux des cors et les trémolos pianissimos des cordes. Le drame tragique est sousjacent et tranche avec la volonté de grandeur majestueuse renforcée par des coups de boutoirs des tuttis de l’orchestre. La tonalité de ré mineur qui couronne un sentiment de triomphe sublimé arrive chez Furtwängler seulement dans la coda après un processus de lutte intestine entre cette opposition suggérée par le chef, entre la réalité noire et fantasmagorique du destin et l’illusion d’un perpétuel triomphe de l’humanité.



Deutsche Staatoper, Berlin, 1945



Le deuxième mouvement dénote légèrement mais pas totalement, avec ce questionnement métaphysique et existentiel entre le triomphe et le pessimisme dramatique. Cette vaste danse qui balance entre le dionysiaque et le diabolique, et cette progression intensifiée par l’utilisation de la fugue est déchirée régulièrement par des coups martelés par les timbales. Cet exemple révolutionnaire et inhabituel des timbales qui sortent de leur emploi traditionnel de soutien harmonique pour créer une rupture dynamique qui fait ressurgir la menace encore perceptible du mouvement initial. Si le troisième mouvement constitue une parenthèse dans cette œuvre par son adagio à caractère calme et apaisé avec des soubresauts mélancoliques que Gustav Mahler repris avec brio dans les innombrables adagios composés dans ses symphonies.


Le dernier mouvement, qui insère pour la première fois de l’histoire les voix et le chœur, utilise le poème de Schiller. Furtwängler y déchaine sa passion pour y affirmer une joie extatique, apothéotique à la limite de l’hystérie joyeuse et exubérante. La joie enterre définitivement ce sentiment pessimiste et oppressant. Un dégradé des atmosphères classique chez Beethoven, qui résout les oppositions et les véhémences qui déchirent son œuvre par un final conciliateur dans un triomphe effréné, la vision de l’homme qui lutte contre un destin hostile. Furtwängler use du rubato pour passer d’un lyrisme lumineux à une joie déchainée et libérée de toute entrave dramatique pour finir sur une danse pleine de transe et de folie.


“ L'acte solennel, l'accomplissement sublime, c'est Furtwängler qui l'assuma : comme Wagner, en 1876, avant d'inaugurer son palais des Festivals, qui serait voué à sa propre musique, avait sollicité l'auguste parrainage de Beethoven, dirigeant lui-même la neuvième symphonie au théâtre de la Margravine, ainsi, la veille du grand jour, Furtwängler bénissait Bayreuth renaissant en dirigeant la neuvième symphonie. De l'œuvre immense, il a donné des lectures plus incandescentes et plus furieusement sublimées. Mais aucune fois la circonstance n'avait été si vénérablement solennelle. Le disque était là. Ce qu'il a fixé, c'est un instant mystique de l'histoire de l'Occident.”

Ce concert représente donc non seulement une performance absolument unique mais rejoint le mythe à l’histoire. André Tubeuf exprime parfaitement l’identité spécifique et singulière de cette œuvre magnifiée par l’interprétation de Furtwängler.



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Par Ilyesse Hamra


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